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PAUVRETE DES PERSONNES AGEES

Les retraités représentent le tiers des ménages en France.
Près de 65 % d'entre eux sont issus des milieux populaires, anciens ouvriers, employés ou agriculteurs.
Serge Guérin, sociologue, professeur à l'ESG-Management school, et Christophe Guilluy, géographe, directeur du bureau d'études MAPS .

Comme leurs cadets des classes populaires, ces retraités vivent dans une relative "fragilité sociale". Cela se traduit d'abord en termes de pouvoir d'achat. En effet, contrairement aux idées reçues, pour l'essentiel, ces ménages disposent de revenus modestes, voire très faibles : la retraite médiane se situe autour de 1 100 euros par mois. Non seulement la moitié des retraités doit vivre avec tout juste le smic, mais un million d'entre eux, et principalement des femmes, se retrouve avec des revenus inférieurs au seuil de pauvreté. En raison d'une expertise peu valorisée et d'un marché potentiel très limité, ils sont aussi ceux qui peuvent le moins cumuler une activité rémunérée avec leur retraite.
Plus grave encore, l'importance de ce phénomène social va continuer de croître. Selon le Bureau d'informations et de prévisions économiques, la proportion de ménages de plus de 60 ans va passer de 34 % à 37 % entre 2010 et 2020. Avec la précarité croissante qui touche toujours plus de salariés et la baisse du taux net de remplacement du revenu salarial médian (65 %, selon l'OCDE) à la suite des différentes réformes initiées depuis 1993, le niveau médian des pensions pour les nouveaux retraités se situe à moins de 850 euros par mois. Bien au-dessous du seuil de pauvreté. Il est d'ailleurs intéressant de noter qu'aucune étude ne semble avoir estimé les revenus réels des nouveaux retraités.

Par ailleurs, comme l'ensemble des classes populaires actives, les retraités populaires ont enduré une baisse relative de leur niveau de vie. Ils supportent, notamment, une augmentation des dépenses de santé non remboursées et des charges, liées au logement et au transport, toujours en croissance.
En termes de géographie sociale, ces retraités ont subi la même "grande relocalisation" que les classes populaires chassées des grandes métropoles. Ils viennent trouver refuge dans la "France périphérique", dans les espaces ruraux, industriels, périurbains, les villes petites et moyennes. La carte de la France populaire et celle de la France des retraités populaires sont identiques. Il est d'ailleurs frappant de constater que ces derniers vivent bien séparés des retraités issus des catégories plus privilégiées. Ils sont sous-représentés en région parisienne et en Provence-Alpes-Côte d'Azur, mais aussi dans tous les espaces valorisés comme les littoraux ou les "villages authentiques" où se concentrent au contraire les retraités aisés et très aisés.
Les retraités populaires supportent ainsi le destin des classes populaires au temps de la mondialisation : une forme de relégation sociale et culturelle. Une relégation double : elle se réalise sur le plan spatial et culturel avec des personnes qui s'éloignent des grandes villes et vont s'installer dans des lotissements séparés du coeur des villages et des petites villes.

A cela s'ajoutent une inquiétude spécifique et une fragilité singulière. Une inquiétude liée à la peur de la solitude et de la dépendance. Peur de ne pouvoir financer seul une entrée en maison de retraite ou le recours à des services à la personne. Mais peur aussi de ne pouvoir trouver, en étant loin des centres urbains, les soins nécessaires, les services publics et les institutions de proximité. On rappellera que l'espérance de vie - et plus encore l'espérance de vie sans incapacité - est bien moins élevée chez les retraités populaires ayant connu des conditions de travail difficiles que chez ceux ayant eu des parcours plus préservés. Ainsi, un ouvrier de 35 ans a pratiquement dix ans de moins d'espérance de vie sans incapacité qu'un cadre supérieur au même âge (INED, 2008).
Mais les retraités populaires sont aussi fragilisés par leur patrimoine. Plus souvent propriétaires que les autres catégories populaires, ils disposent d'un patrimoine difficilement cessible, car souvent vétuste et éloigné des zones touristiques ou d'activité, qui peut renforcer leur précarisation. Un peu moins de 40 % des propriétaires occupants sont en France des propriétaires précaires (éligibles aux aides de l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat, de l'ordre de 60 % des plafonds HLM). Pour l'essentiel il s'agit de retraités issus de milieux populaires qui vivent sur ces territoires de la France périphérique.

Enfin, ces seniors sont aussi entourés par des enfants et petits-enfants qui subissent la précarisation et le pessimisme social. Avec leurs revenus modestes, les retraités populaires se retrouvent souvent à soutenir leurs cadets. Parfois, sur trois générations, ils sont les seuls à avoir un revenu régulier.
Si la situation des catégories populaires actives ou retraitées paraît se recouper, en revanche, le comportement électoral les distingue fortement. Les populations actives populaires et, en particulier, les jeunes, s'abstiennent de façon croissante ou votent de plus en plus pour le Front national au moment d'une présidentielle.

En revanche, les retraités populaires résistent encore aux sirènes du discours frontiste. Ils votent plutôt à droite, considérant que la gauche n'a fait qu'accompagner la désindustrialisation et la dévalorisation du travail et des classes populaires. Mais encore très peu pour l'extrême droite. En particulier parce qu'ils ne sont pas convaincus par les solutions économiques proposées, comme la sortie de l'euro.

Par ailleurs, les retraités populaires ont une conscience claire que leur pension, même modeste, leur assure une forme de "protection face à la mondialisation" et une intégration culturelle à un système hérité, celui de l'Etat-providence, des "trente glorieuses". Un héritage qui offre donc une relative intégration sociale et culturelle, et explique que ces catégories soutiennent les deux grands partis de gouvernement, continuateurs de cette période.
Compte tenu de leur poids électoral, ces retraités sont un rempart à l'extrême droite. Pour combien de temps ?

Avec la précarisation à venir des catégories populaires, toujours plus touchées par le chômage et la dérégulation du travail et arrivant à l'âge de la retraite avec toujours moins de revenus, on peut craindre que le barrage se fissure dans les années à venir. Si le gouvernement ne lance pas de véritables réformes et actions en faveur de la solidarité intergénérationnelle et du soutien aux populations fragilisées par la mondialisation, c'est aussi la digue de la solidarité et du sentiment de partager un avenir commun qui peut se rompre. C'est bien l'aggravation du délitement social et du sentiment d'abandon qui se joue dans les deux ans à venir et qui, si rien n'est fait, sera source de troubles et de révoltes sur lesquels le FN ou son avatar pourra surfer.

Ainsi, au regard de la dynamique démographique de cette catégorie, associée à la hausse de la précarité des retraités, le risque d'une montée sensible du vote FN devient de plus en plus probable. Pour une large part, les retraités populaires tiennent les clés des résultats électoraux futurs.
Pour répondre à la fragilisation croissante de ces retraités, les territoires sont en première ligne. Les départements et les villes assument déjà une large part de l'aide sociale pour les plus âgés et pour les plus fragiles. Et souvent leurs ressources sont inversement proportionnelles aux besoins des populations car les retraités populaires sont situés en large partie sur des territoires à faible attractivité pour les entreprises.

La future réforme de la décentralisation devra prendre en compte cette réalité autant sociale, culturelle que spatiale, et développer une approche reposant sur des démarches territorialisées d'accompagnement adaptées aux conditions réelles de vie des personnes. Certes, elles auront à s'appuyer largement sur l'action de services publics. Mais il ne s'agira pas de multiplier la présence "en dur" de ces services : il faudra impérativement les mutualiser, adapter les conditions d'accès et jouer sur des systèmes plus souples et plus mobiles.
Surtout une politique d'accompagnement accordée aux territoires repose sur la délégation d'action et de moyens au monde associatif ou à l'économie sociale et solidaire qui sont souvent plus réactifs, plus légitimes et moins coûteux. Les retraités populaires ne seront pas en capacité de payer le prix fort pour des services, y compris ceux essentiels à leur quotidien.

Par ailleurs, au regard de la dynamique démographique du vieillissement, il est impossible de penser une nouvelle étape de la décentralisation sans intégrer une réforme de la perte d'autonomie prioritairement centrée sur une véritable politique de prévention. Elle doit être menée au niveau des territoires et prendre en compte les modes de vie et les capacités des personnes, et d'abord des retraités populaires.
De la même façon, le soutien aux aidants, bénévoles et professionnels, est un impératif absolu pour permettre aux retraités populaires de vivre dans des conditions décentes. Il est facteur de création d'emplois, peu ou très qualifiés, non délocalisables. Ce sont des thématiques à intégrer dans une réforme systémique de la retraite.
Un autre enjeu majeur concerne l'habitat des retraités populaires, en particulier les plus fragilisés sur le plan de la santé et de l'autonomie. Le développement de maisons de retraite hypermédicalisées comme unique alternative au vivre à domicile ne répond ni aux attentes des personnes, ni aux moyens financiers des retraités populaires et des collectivités publiques. Déjà, de nombreux établissements doivent faire face à une baisse de leur taux d'occupation.

Il s'agit aussi d'assouplir certaines normes qui renchérissent la construction de logements et nuisent à l'innovation sociale et à la rencontre entre des publics différents. Dans cette optique, il convient de soutenir et de renforcer des réponses diversifiées autour du logement adapté, de l'habitat partagé, des formes d'intergénération... Il importe aussi de répondre à l'isolement de ces personnes et à leur sentiment d'insécurité.Le gouvernement est devant un choix de société : ignorer ou dénier la situation de ces populations et des territoires, au risque d'aggraver les fractures sociales et de réduire son assise populaire, abandonnant ainsi tout projet de transformation ; ou imaginer une politique de reconnaissance et d'accompagnement cohérente de ces publics marginalisés et précarisés, permettant ainsi d'inventer une vraie solidarité entre les générations, les cultures et les territoires. Celle fondée sur la fraternité et la justice, sur l'égalité et le partage.



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